Jean Luc Bennahmias : « Seul un grand compromis national est en mesure de redresser le pays »
La fin de l’article ouvre des perspectives très intéressantes voire salutaires…
En voici un extrait : « Est-ce qu’il y a des hommes d’État capables de faire cela en France ? Chacun roule pour soi, pense à 2017, à 2022…
Je ne vois pas pourquoi il n’y en aurait pas ! Je ne crois pas à la femme ou à l’homme providentiel. Le système présidentiel dans lequel nous sommes est, à ce niveau là, bloqué. Mais des personnalités qui, collégialement, sont assez responsables dans le pays, je peux vous en citer une bonne trentaine. Je pense qu’il y a besoin de ce compromis national, qui est de dire : la République Française a des atouts, elle peut les utiliser, y compris dans le cadre de l’Europe et d’une gestion maitrisée de la mondialisation »
Ci-dessous, l’article en son intégralité.
Sur Radio Orient, Jean-Luc Bennahmias s’est inquiété du climat « d’exaspération » et de « mini-insurrection » qui règne en France. « Notre responsabilité est de nous rassembler, comme l’avaient fait nos anciens avec le Conseil National de la Résistance », appelle-t-il.
Radio Orient – Des insultes ont visé Christiane Taubira. Le journal Minute vise à son tour la ministre. Que vous inspire cette dérive raciste ?
Jean-Luc Bennahmias – Tout cela est odieux, abominable et donc inacceptable. Je remarque dans la presse française, plutôt d’extrême-droite et de droite extrême, des Unes qui n’ont pour seul sens que d’augmenter les ventes en faisant du buzz. C’est un système marchand où tout est permis.
Quand vous parlez d’une certaine presse, vous faites allusion à d’autres titres, comme Valeurs actuelles, qui est plutôt classé à droite ?
Je ne mets pas Valeurs actuelles dans la même ligne idéologique que Minute ! Mais ils ont fait depuis septembre un certain nombre de Unes assez lourdes, par exemple sur l’immigration, qui s’arrêtent aux limites de l’acceptable. Elles ne sont pas attaquables, mais elle sont grossies. Cela n’a qu’une raison : faire parler de soi. Pour revenir à Minute, ils croient faire une bonne opération, moi je ne le crois pas. Christiane Taubira est une dame qui n’est pas nouvelle en politique. Elle est aussi française que vous et moi. Elle a été candidate à l’élection présidentielle. Elle est totalement dans l’esprit républicain. L’autorité qu’elle a dénote d’ailleurs par rapport à d’autres membres du gouvernement. Minute s’attaque à elle car c’est une dame de couleur mais aussi parce qu’elle a de l’autorité, en tant que Garde des Sceaux. Derrière tout cela, il y a un côté irresponsable, anti-républicain d’un certain nombre de formations politiques d’extrême-droite qui ne reconnaissent pas à la Gauche française le droit de gouverner, et encore moins à une dame issue des Dom-Tom.
Vous faites de la politique depuis de nombreuses années. Vous avez été journaliste. Est-ce que vous avez souvenir d’une personnalité attaquée sur ses origines ?
Pas autant que ça, non. Des actes racistes, nous en avons connus. Mais je n’ai pas souvenir de cela. Il faut remonter aux années 30, où nous étions dans les Ligues fascistes. Tout cela s’était terminé par des manifestations avec des dizaines de morts. Nous n’en sommes pas là. Mais il y a aujourd’hui un changement de ton, qui remonte aux manifestations de la Manif pour tous…
C’est là que ça a a commencé ?
La droite extrême et l’extrême droite ont utilisé ces grandes manifestations.
Vous êtes en train de nous dire qu’il y a une base qui n’est pas forcément raciste et qu’il y a derrière elle l’extrême-droite qui est en train de manipuler tout le monde ?
Le racisme le plus prégnant en France, le racisme primaire, c’est le racisme anti-arabes. Il joue un énorme rôle dans la montée de l’extrême-droite, tendance Front national. Là, il y a quelque chose de nouveau, un élargissement. Cela faisait très longtemps que l’on n’attaquait plus les personnes noires en France. D’abord, parce que des centaines de milliers, des millions de personnes noires sont Françaises et le sont de très longue date. Le système d’intégration, qui est l’essence de notre République, est en très grande difficulté. La situation sociale, voire sociétale, de la République française, est très inquiétante. Appuyer sur les boutons du racisme et de l’exclusion, c’est absolument terrifiant, car cela peut donner des choses graves.
On voit la classe politique unanime pour condamner cette Une. La Gauche et le Centre, cela va de soi. Mais aussi la Droite et même le FN…
La Droite républicaine aussi cela va de soi ! Il faut être très critique par rapport à l’UMP, mais tout de même ! Il existe dans ce pays une idéologie républicaine, qui fait que la Droite post-gaulliste, post-giscardienne, est de naissance et de gêne anti-raciste.
Est-ce que vous diriez tout de même qu’une certaine Droite, je pense à Patrick Buisson, a aussi encouragé cela par petites touches ?
Pas plus qu’une certaine Gauche ! Quand Manuel Valls, qui a d’autres qualités heureusement, dit que toute une population – les Roms – n’est pas intégrable dans la communauté française, c’est un acte lourd. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien qu’une grande organisation antiraciste, le MRAP, l’attaque par rapport à cela. Expliquer, exprimer dans le programme politique, qu’il y aura le droit de vote aux municipales pour les résidents étrangers non européens, en sachant qu’ensuite on ne le fera pas… Tout cela participe à cette situation. La Droite gouvernementale et la Gauche gouvernementale ont une certaine responsabilité. Elles ne sont pas responsables de la Une de Minute, mais de cette difficulté à analyser le poids de l’immigration dans le pays, y compris le poids positif. J’entends aujourd’hui Jean-François Copé remettre en cause le droit du sol, alors que c’est le droit républicain par excellence. Je me dis d’ailleurs que, comme des dizaines de millions de nos concitoyens, je ne serais pas Français s’il n’y avait pas eu le droit du sol…
La Une de Minute est l’aboutissement de tous ces dérapages ?
Les dérapages ne sont pas vertueux. Je dis simplement que les classes dirigeantes, dans la période que nous vivons, ont intérêt à se poser beaucoup de questions. Il y a une défiance à l’encontre des dirigeants politiques, toutes tendances confondues, des cadres des syndicats et des entreprises, des corps intermédiaires. L’autorité, quelle qu’elle soit, est remise en cause. Cela conduit à un sentiment de déstabilisation généralisée.
Est-ce que vous pensez que la France est devenue raciste ?
Non, je ne crois pas que la France soit devenue raciste. Je pense qu’il y a une incompréhension des peuples, au-delà de la seule République Française, par rapport au monde dans lequel on vit. Elle pousse à des frictions, qui peuvent aller bien plus loin encore. D’un côté, nous sommes dans une situation internationale extrêmement guerrière. Ce n’est pas pour rien que des Érythréens et des Somaliens sont prêts à mourir sur les plages italiennes pour fuir les dictatures et les horreurs dans lesquelles ils vivent. De l’autre, quand je regarde l’Union européenne dans son ensemble, je vois malheureusement que les mouvances de droite très dure, d’extrême-droite, parfois fascisantes comme Aube Dorée, progressent. Je suis depuis neuf ans au Parlement européen et j’ai rarement vu autant qu’aujourd’hui la Droite dure et l’extrême droite monter au créneau sans aucun tabou, par rapport à l’immigration, par rapport à ces gens qui meurent dans la Méditerranée. Ce sont des phrases absolument ignobles. Cette expression publique, politique, dans une assemblée, n’existait pas il y a encore deux ou trois ans.
Le Monde titre que François Hollande est « bousculé » par l’exaspération sociale et politique. Vous avez sûrement été choqué par les manifestations qui ont accompagné les cérémonies du 11 novembre. Le pouvoir minimise en parlant d’activistes d’extrême-droite. Partagez-vous cette analyse ?
Je trouve qu’on grossit les choses. Tout cela est souvent parisien. Ce sont quelques dizaines de personnes sur les Champs-Élysées. Ça n’est pas tolérable pour autant. Il s’agissait des commémorations du 11 novembre, François Hollande y faisait son « job » et n’y était pas critiquable une seule seconde. Une partie de l’extrême-droite, souvent hors FN même s’il n’est jamais très loin, utilise n’importe quel événement. Pour ce qui du Monde, je trouve que le mot « bousculé » est faible, très faible. Le sentiment général, c’est qu’il n’y a plus de pilote réel dans l’avion. J’essaye de peser mes mots par rapport à cela, car je ne m’en réjouie pas. Après un an de gouvernement de Gauche, à peine 20% de l’opinion publique est satisfaite de la politique menée. Il y a plus que des questions à se poser !
Nicolas Sarkozy, pour mémoire, était lui à 44% de bonnes intentions.
Oui. Il n’est jamais descendu en dessous de 33 ou 34%, c’est-à-dire au moins avec le soutien de son camp. Ce que montrent actuellement les enquêtes d’opinion, c’est qu’une bonne partie de ceux qui ont voté pour François Hollande est plus que mécontente. Évidemment, nous ne sommes pas tous mécontents pour les mêmes raisons. J’analyse pour ma part le phénomène breton comme un phénomène de désespérance. Nous sommes restés longtemps dans la désespérance. Maintenant la révolte arrive et je ne crois pas qu’elle soit manipulée. Une population entière, qui a une identité forte, se sent dans un axe de révolte et brûle des objets appartenant à l’État, les radars et les portiques, les uns après les autres.
Est-ce comparable à la révolte des banlieues de 2005 ?
On peut faire un parallèle : il n’y a pas de chef, c’est un phénomène massif et de bande. Je n’emploie pas le terme « bande » de façon forcément péjorative. Cela échappe aux corps intermédiaires. Les dirigeants de la CGT, de FO, du Medef disent exactement la même chose : « Nous sommes débordés, nous n’y arrivons plus ».
C’est une sorte de mai 68 de Droite qui est en train de naître ?
Non, c’est une exaspération populaire ! Regardez Carhaix, ville qui accueille le festival des Vieilles Charrues, une réussite culturelle et économique totale. Le Maire de cette ville est divers-Gauche ! Il y a un phénomène réel de « mini-insurrection » dans le pays – je pèse mes mots – de refus de toute nouveauté, de toute nouvelle mise en place notamment sur la fiscalité. Ça rappelle des choses qui étaient arrivées avant la Révolution française.
La contagion est donc possible ?
L’exaspération est à peu près la même partout, notamment en matière de fiscalité, de pouvoir d’achat en baisse, d’emploi qui ne se remet pas debout. Surtout, on ne voit pas dans quelle direction va le pays. Il n’y a pas d’axe donné. On peut toujours dire que la courbe du chômage s’inversera avant la fin de l’année : la méthode Coué ça ne suffit pas à la population.
Est-ce que vous demandez un report de la hausse de la TVA prévue en janvier ?
Je demande bien plus que ça ! Je demande au gouvernement de faire une vraie réforme fiscale globale. D’abord en France, mais aussi en mettant en place une discussion immédiate avec notre partenaire allemand pour qu’il n’y ait plus entre nos entreprises la distorsion de concurrence qu’il y a aujourd’hui. On parle beaucoup des travailleurs détachés, ceux qui vont travailler dans les autres pays. C’est un droit reconnu, mais quand la fiscalité n’est pas la même par rapport au coût du travail, comme c’est le cas entre la France et l’Allemagne, ça donne des distorsions comme on en voit dans l’agroalimentaire avec les saisonniers. La TVA n’est pas un sujet anecdotique, mais le sujet principal c’est une réforme fiscale globale, qui arrête de faire porter la fiscalité sur le coût du travail et qui la mette sur les pollu-taxes. Les pollu-taxes, ce ne sont pas les éco-taxes : c’est le fait de dire que nous pouvons passer une partie du mode de production, du mode de fabrication des produits, de la façon dont on utilise les ressources énergétiques, sur le système de fiscalité, pour en contrepartie détaxer progressivement le coût du travail.
Malek Boutih (PS) a fait beaucoup parler de lui en réclamant un nouveau premier ministre. Est-ce que, pour vous, changer le casting pourrait déjà donner un peu d’espoir aux Français ?
Non, s’il n’y a pas de changement d’axe, s’il n’y a pas de perspective réelle de donnée, et surtout s’il n’y a pas de véritable majorité structurelle dans le pays, tels que nos concitoyens la voudraient. Nous devons trouver, pour mener les grandes réformes structurelles, une union démocratique nationale extrêmement importante, avec tous les corps intermédiaires, syndicats, associations culturelles et cultuelles.
Vous appelez donc François Hollande à choisir, ce qu’il a beaucoup de mal à faire aujourd’hui ? On sent qu’il essaye de plaire à la fois à l’aile gauche et à l’aile sociale du PS.
Excusez-moi, mais le peuple, nos citoyens, se foutent complètement de ces caractérisations. C’est comme de savoir qui est le plus à Gauche ou le plus à Droite entre l’UDI et le MoDem. Qu’est-ce qu’on en a à faire ? Ce n’est pas ça qui va restructurer la vie politique dans son ensemble. J’appelle François Hollande à bien voir dans quel état est le pays et, en cas de remaniement, de voir de façon large qui il doit appeler : société civile, formations politiques du cadre républicain, etc. Je pense que la seule chose responsable serait de dire qu’il faut un compromis général, du même niveau que ce qu’avaient fait nos anciens avec le Conseil National de la Résistance.
Il y avait des Gaullistes et des Communistes dans le même gouvernement.
Et des socialistes, des centristes… Tous les grands syndicats et les grandes religions étaient présents. Un compromis général qui fasse que l’on sorte notre pays des crises dans lesquelles nous sommes. Cela demande beaucoup de responsabilité. Aujourd’hui, François Hollande s’appuie sur une fausse majorité. Que représente réellement dans l’opinion publique la majorité PS à l’Assemblée nationale, même si on l’additionne aux Verts et au Front de Gauche ?
Mais vous imaginez la Droite accepter un gouvernement qui comprend aussi des socialistes et des centristes ?
Je poursuis ma démonstration. Imaginons un gouvernement composé uniquement de la Droite républicaine, de l’UDI et du MoDem. Vous croyez que cela suffirait ? Vous croyez que cela irait mieux en France ? Je n’en crois pas un mot. Je pense que nous sommes responsables d’une situation de décrédibilisation, dont on ne peut revenir que si on met un terme aux fausses divisions entre la Droite et la Gauche. Sincèrement, quelle est la différence entre la gestion fiscale de François Hollande et celle de Nicolas Sarkozy ?
Est-ce qu’il y a des hommes d’État capables de faire cela en France ? Chacun roule pour soi, pense à 2017, à 2022…
Je ne vois pas pourquoi il n’y en aurait pas ! Je ne crois pas à la femme ou à l’homme providentiel. Le système présidentiel dans lequel nous sommes est, à ce niveau là, bloqué. Mais des personnalités qui, collégialement, sont assez responsables dans le pays, je peux vous en citer une bonne trentaine. Je pense qu’il y a besoin de ce compromis national, qui est de dire : la République Française a des atouts, elle peut les utiliser, y compris dans le cadre de l’Europe et d’une gestion maitrisée de la mondialisation.
Il faudrait d’abord une grande conférence avant d’aboutir à cette union nationale ?
Les éléments actuels peuvent aboutir à une crise majeure. Le Front national joue évidemment là dessus, ça lui donne à manger. Les républicains, de toutes tendances, doivent sentir le besoin d’une large discussion et de larges compromis, plutôt que de fausses bagarres stupides. J’aurais aimé que François Hollande fasse cela, qu’il soit vraiment le président de tous les Français.
Vous imaginez un gouvernement avec Martine Aubry, Alain Juppé, François Bayrou, Jean-Louis Borloo ?
Oui. Et je n’exclus en rien de grands intellectuels et entrepreneurs. Je pense à Louis Gallois, à des gens qui ont montré leur capacité de gestion. Je pense que c’est nécessaire. On a cité beaucoup d’hommes, mais je pense qu’il y a aussi beaucoup de femmes qui ont ces capacités.
source : site du mouvement démocrate. http://mouvementdemocrate.fr/article/seul-un-grand-compromis-national-est-en-mesure-de-redresser-le-pays
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